Après plus de dix ans de chasse de tête en Corporate Finance, j’ai le plaisir d’inaugurer l’année 2024 avec ce blog.
Mon objectif : vous partager les coulisses de mon métier, vous livrer – en toute subjectivité ! – mes intuitions et analyses tirées de mon expérience "terrain" : des milliers d’heures de conversation/entretien avec clients et candidats pour recueillir leurs aspirations, enjeux business, problématiques de management, exigences...
Ce passage à l’écrit est l’occasion de prendre un peu de hauteur sur notre pratique et un marché évoluant toujours plus vite, afin d’essayer d’en tirer quelques apprentissages et tendances.
Nos articles approfondis traiteront de sujets tels que l’évolution des métiers de la finance, les stratégies de recrutement, les nouvelles compétences essentielles, des profils de carrière inspirants, ainsi que des analyses des évolutions du marché de la finance d’entreprise...
Vos commentaires et remarques seront évidemment bienvenus ; )
État des lieux, perspectives 2024
Pour ce premier article, j’ai décidé de m’atteler à un objectif ambitieux : vous livrer mon analyse du marché de l’emploi en finance corporate à l’aube de 2024 !
L’année 2023 s’est terminée avec des records incitant peu à l’optimisme. Inflation, hausse fulgurante des taux d’intérêt, arrêt du crédit, opérations M&A en berne, conflits internationaux, crise énergétique, urgence climatique,.. Plus que jamais, le monde est "VUCA" (volatility, uncertainty, complexity, ambiguity).
Quel est l’impact de ces bouleversements sur la finance d’entreprise ? Quels sont aujourd’hui les nouveaux critères de succès dans le secteur ? Enfin, à quoi ressemble le marché de l’emploi et quels sont les leviers des entreprises pour séduire.. et retenir les meilleurs talents ?
Le progrès n'est pas toujours confortable, mais toujours inévitable
Les entreprises et directions financières ne sont pas épargnées et doivent en permanence s'adapter à un environnement économique incertain en constante évolution. Durcissement des règlementations, accélération de la digitalisation, nécessité de se prémunir face aux cyber risques, pression accrue pour la durabilité et télétravail ne cessent de remodeler les métiers de la finance.
Big Data et digitalisation des process financiers
Le premier changement majeur est peut-être la numérisation massive. Les financiers autrefois engloutis sous une avalanche de documents, semblent enfin respirer. Compagnons fidèles, les systèmes intelligents accomplissent aujourd’hui les tâches chronophages répétitives d’hier, avec une précision inhumaine, permettant aux financiers de se consacrer à des analyses approfondies et stratégiques, là où leur expertise peut enfin briller.
A l'ère de l'abondance d'informations traitées rapidement par les machines, c'est encore l’acuité humaine qui fait le tri, donne vie aux chiffres, et les transforme en décisions éclairées.
Une numérisation optimisée devient ainsi un allié précieux, libérant la créativité d’une équipe pour affiner sa stratégie financière, avec une précision cruciale dans un monde en mouvement constant. Les entreprises maîtrisant habilement ce pilotage analytique seront les véritables maîtres de leur destin.
Mais tout progrès exige son tribut. Le cyber risque est en parallèle devenu un défi majeur pour les entreprises, qui doivent désormais allier la prudence financière à la vigilance numérique pour assurer l’intégrité, la protection de leurs données financières, mais aussi leur réputation.
Les profils possédant une double expertise financière et informatique maîtrisant les outils d'automatisation et supervision des SI financiers ont considérablement gagné en attractivité.
Focus sur la durabilité et la responsabilité
Une deuxième évolution majeure du paysage financier, c’est la place prépondérante qu’occupent désormais les enjeux RSE. La conscience environnementale et sociale imprègne à présent tous les aspects de la finance d'entreprise. C’est un véritable changement de paradigme qui est à l’œuvre, un brin déconcertant pour des financiers devant désormais intégrer des considérations… extra financières dans leurs rapports.
La gestion des risques et la conformité évoluent constamment et sont de plus en plus complexes. Et la nouvelle directive européenne CSRD qui prend effet dès 2024 ne risque pas de leurs simplifier la vie !
Pour répondre à ces nouveaux défis, les profils alliant expertise financière et sensibilité aux enjeux durables deviennent des atouts précieux, apportant une perspective holistique à la gestion des risques et des opportunités. Heureusement, les plus jeunes générations de financiers se montrent particulièrement réceptives à ces nouveaux enjeux sociétaux – nous y reviendrons !
Retour aux fondamentaux : Liquidité et Trésorerie
2023 signe le grand retour du Cash et de la Trésorerie, quelque peu délaissés pendant les années d’argent magique. La croissance à tout prix n’est plus l’objectif premier. Liquidité et trésorerie reviennent enfin au centre d’une saine gestion financière, afin de renforcer la résilience de l'entreprise face aux incertitudes économiques et géo-politiques, et permettre de saisir d’éventuelles opportunités stratégiques.
Gestion agile du capital
Ce focus sur le cash s'accompagne d'une volonté de gestion toujours plus agile du capital, en quête d’allocation optimale des ressources et d’une réduction des immobilisations inutiles. Cela semble entrainer une réduction des cycles d'investissement et une évaluation plus fine des dépenses, pour libérer des fonds nécessaires à des initiatives stratégiques.
Gestion des risques et résilience financière
La gestion des risques ne se limite plus à une simple mention dans un cahier des charges. L'anticipation des risques, l'établissement de stratégies de résilience et de plans d'urgence sont des compétences de plus en plus recherchées par nos partenaires, pour espérer traverser au mieux les turbulences économiques.
Stratégies de financement innovantes
Le capital-investissement et les opérations M&A ont connu en 2023 une des pires années depuis la crise financière de 2008. Si c’est encore marginal, nous observons un changement dans les compétences recherchées en matière de financement. Savoir penser au-delà des modes de financement traditionnels et maîtriser les subtilités des financements participatifs, green bonds et autres mécanismes novateurs est de plus en plus recherché.
Les tendances de fond énoncées ci-dessus vont selon nous s’accélérer en 2024. Plus que jamais les directions financières nous semblent sollicitées et à pied d’œuvre, n’ayant d’autre choix qu’embrasser le changement et s’adapter avec pragmatisme à ce nouvel environnement plein d’incertitudes, pour continuer à prospérer.
Le DAF en 2024 : au-delà des strictes compétences financières
L’ensemble de ces évolutions associées au contexte économique tumultueux induit un changement majeur dans la perception du rôle du Directeur Financier, lequel n’est plus cantonné à son traditionnel rôle de "gardien du temple". Il endosse désormais une nouvelle mission de catalyseur du changement et conseiller stratégique.
Au-delà de la robustesse financière et du faisceau de nouvelles expertises requises, nous recruteurs sommes de plus en plus attentifs aux soft skills. Agilité pour gérer le changement et manager l’incertitude, ainsi que hauteur de vue pour détecter les signaux faibles et percevoir les dynamiques de long terme.
Les meilleurs profils sont ceux capables de faire parler les chiffres mais aussi de prendre de la hauteur sur le monde qui nous entoure. Quel est l’impact de la guerre en Ukraine sur son business ? De la crise énergétique ? Ils doivent être capables de sortir la tête de l’eau pour porter une vision stratégique, quasi géopolitique, et élaborer des stratégies financières adaptatives.
Cette hauteur de vue nécessite également une vraie aisance en communication. Le terme de "leadership collaboratif" est à la mode tant une bonne collaboration est indispensable à la réussite d'une équipe Finance. Notre super DAF doit savoir synthétiser et expliquer des informations financières complexes aussi bien aux non-initiés des Opérations, Sales et RH avec lesquels il collabore toujours plus étroitement, qu’aux interlocuteurs extérieurs, banquiers, investisseurs, régulateurs et avocats. Sans parler de son CEO qu’il doit challenger et accompagner.
En somme, le CFO idéal en 2024 est un Business Partner agile, chef d’équipe technologiquement averti, capable de naviguer dans un environnement complexe tout en contribuant à la stratégie globale de l'entreprise.
Me vient à l’esprit en cette période d’épidémie de grippe notre excellent médecin de famille, un généraliste maîtrisant l’ensemble des connaissances de son domaine, et capable si besoin de solliciter des experts plus sachant, le tout avec des qualités humaines d’écoute et de communication.
Le marché de l’emploi en Finance Corporate
Un marché pénurique
Nous l’avons vu, la demande est toujours plus grande pour des profils technophiles, techniciens, teamplayers et dotés d’esprit critique, ayant une compréhension approfondie des enjeux économiques, des réglementations financières et des tendances du marché.
Nous constatons une pénurie croissante sur ces profils qualifiés. A l’heure actuelle la demande pour ces compétences spécifiques dépasse largement l'offre. C’est du moins le ressenti que nous pouvons avoir, et que les salaires à la hausse résultant de cette offre et cette demande, semblent indiquer.
Il faut du temps pour que les offres de formations s’adaptent à ces nouveaux besoins. Nous voyons donc de plus en plus d’entreprises investir dans des programmes de formation continue et mentoring de leurs employés à potentiel, afin qu’ils restent à la pointe des dernières tendances et technologies.
Turnover et inflation des salaires
Ce contexte pénurique combiné à la crise sanitaire et "l’envie d’ailleurs" se sont traduits par une forte augmentation du turnover ; les talents s’étant adonnés au "zapping" professionnel ces dernières années. Un changement de poste étant souvent l’occasion de profiter d’un bond en salaire, cela a aussi participé à l’augmentation des salaires.
Plus qu’une "grande démission", on évoque désormais à juste titre une "grande rotation", qui n’en reste pas moins préoccupante pour les entreprises, dans la mesure où ces profils zappeurs, moins impliqués, ne prennent pas le temps de la hauteur sur l’ensemble des sujets.
C'était mieux avant ? Nous y revoilà peut-être
Toutefois, le contexte peu engageant aidant, nous constatons un retour à la stabilité depuis quelques mois, peut-être même une certaine frilosité chez les candidats que nous sollicitons ; s’ils se montrent toujours ouverts à la discussion, l’herbe ne semble plus si verte ailleurs.. Est-il besoin de souligner que les financiers sont généralement des gens prudents ; ) ?
En temps de crise, on se concentre davantage sur ce que l’on connaît, ce que l’on sait faire, et on aspire à une certaine forme d’équilibre vie pro/vie privée ainsi qu’une quête de sens et d’impact à long terme.
On note aussi la tendance amusante des "salariés boomerang", qui regrettant leur démission retournent chez leur ancien employeur. Un retour au bercail évidemment bénéfique en termes de marque employeur, signant peut-être le retour à une conception plus "familiale" de l’entreprise, au sein de laquelle s’épanouir et grandir.
Apprivoiser le Télétravail
Véritable OVNI dans le management, le télétravail anarchique engendré par la pandémie a souvent eu des conséquences négatives sur la productivité, la culture d'entreprise, et le bien-être de nombreux employés. Créant parfois un vrai fossé générationnel dans la communication entre les seniors et la jeune génération qui a embrassé le home-office avec enthousiasme.
Fort heureusement, le retour au bureau les réconcilie peu à peu ! Véritable défi pour les managers, une approche réfléchie et mesurée de cette transition est à nos yeux indispensable pour réconcilier efficacité virtuelle et richesse des interactions humaines.
Exploiter le meilleur des jeunes talents
S’ils se montrent parfois déconcertants, les plus jeunes sont agiles, prompts à intégrer de nouveaux outils, créatifs... La propension à disrupter les normes établies et explorer de nouvelles voies de cette génération est une opportunité pour l’innovation et la réflexion stratégique. Il faut savoir exploiter cette fougue, tout en veillant à miser sur des gens capables de réfléchir en profondeur, d’innover et pas seulement de reproduire.
L’intelligence artificielle, nouvel horizon de la fonction Finance ?
De nos discussions récentes avec des financiers en pointe sur l’IA, nous comprenons que la technologie n’est pas encore opérationnelle pour automatiser les process financiers.
Mais cette intelligence artificielle évolue si rapidement, que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain. S’il est difficile de prédire jusqu’où l’IA peut emmener la fonction finance, il est préférable de s’y préparer avec lucidité en apprivoisant les outils existants. Nous ne le dirons jamais assez à nos candidats. "Cultivez-vous, creusez vos sujets de prédilection et développez votre esprit critique". Nous cherchons plus que jamais des profils investis, perspicaces et capables de réflexion approfondie.
Les leviers pour retenir et attirer les meilleurs talents
Le marché a toujours raison
Dans ce contexte, la rétention des meilleurs profils devient un enjeu tout aussi décisif que le recrutement de nouveaux. Dans cette double optique, il est impératif d’aligner les salaires sur le marché. Il est contre-productif de payer ses salariés 10 ou 15 k de moins que le marché. On dit bien le marché et non les prétentions parfois déroutantes des candidats !
Certes, l’inflation des salaires semble galopante aussi bien sur les profils que les plus qualifiés, mais la valeur ajoutée des meilleurs talents agiles/curieux/proactifs est considérable.
Mieux communiquer
Être chassé est l’occasion pour le candidat de se livrer à une introspection sur ses aspirations profondes ; l’occasion également d’enclencher une discussion franche et salutaire avec son employeur – pas seulement pour obtenir une contre-offre de marché - mais aussi aborder ses perspectives d’évolution au sein de l’entreprise. On observe malheureusement un vrai déficit de communication informelle depuis que les gens se croisent moins au bureau. Ces discussions auraient naturellement été amorcées autour de la machine à café il y a quelques années !
Au-delà de fournir à ses équipes une visibilité sur leur trajectoire professionnelle, il est fondamental de communiquer à ses équipes une vision claire des orientations stratégiques de l’organisation. Où va l’entreprise, quelle est sa raison d’être ? Comment chacun peut y contribuer ? Une communication transparente en période d’incertitude donne un sentiment rassurant de stabilité́, évitant aux salariés de trop spéculer sur leur avenir.
Impliquer ses équipes
Il est également essentiel d'être attentif aux aspirations de ses collaborateurs afin de leur garantir la flexibilité nécessaire à leur équilibre vie pro/vie perso mais aussi la possibilité de se projeter sur le long terme au sein de l’entreprise. L’envie d'ailleurs post-covid évoquée plus haut se traduit aussi par un changement dans les postures professionnelles. Les financiers d’entreprise aspirent à davantage de variété dans leurs missions, plus de responsabilités, et surtout la possibilité de se former et grandir au sein de leur entreprise pour endosser un rôle à fort impact, au cœur des projets de transformation. Tant mieux !
Au-delà d’une obligation légale, la RSE devient un levier puissant pour engager des collaborateurs soucieux de concilier rentabilité financière et contribution positive à la société. Le constat est sans appel : ceux qui quittent l’entreprise, sont bien souvent ceux qui ne s’y reconnaissent plus.
Perspectives 2024
2023 fût une année compliquée. Les crises multiples ont provoqué un ralentissement économique considérable, doublé d’une instabilité permanente. Malgré cela nous avons vu des entreprises se maintenir, et même progresser, souvent grâce à un leadership audacieux et inspirant.
Une nouvelle année signifie de nouveaux défis, et de nouvelles opportunités.
En 2024, la réussite d’une direction financière ne résidera pas seulement dans la pure technicité mais dans la capacité à s’informer, à innover, impliquer et insuffler une culture vertueuse de transformation dans ses équipes. Alors que les nuages tant géopolitiques qu’économiques ne sont pas près de se dissiper en ce début d’année, il nous faut absolument maintenir un cap et un projet.
N’oublions jamais Guillaume Apollinaire : « Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores ».
Au travail !